Dans notre version adaptée aux ESC, les paradoxes de performance ont trait aux tensions entre visées sociales et économiques, mais aussi entre différentes valeurs et métriques d’évaluation des entreprises sociales et collectives. Les outils de mesure apparaissent comme des outils de gestion pouvant orienter les ESC vers une performance sociale ou économique, et, dans une perspective du paradoxe, vers les deux à la fois. L’étude de leur développement permet ainsi de mettre au jour les différentes conceptions de la valeur – ou différents « mondes » en présence. Les travaux de cet axe visent notamment à explorer comment les tensions et les paradoxes sont reflétés dans les outils de mesure et d’évaluation de la performance des ESC.
Axes de recherche et projets
La programmation scientifique de l’ÉR-GESC se structure autour de quatre axes (paradoxes de performance, d’identité, d’organisation et d’innovation) qui reprennent, en les adaptant au contexte spécifique des ESC, les quatre types de paradoxes (Smith et Lewis, 2011 ; voir aussi Audebrand, Camus et Michaud, 2017).
[accordion] [spoiler title= »Axe 1 : paradoxes de performance »]- Questions et enjeux pour les ESC:
- Comment mesurer et évaluer des retombées multiples ?
- Et quels sont les impacts du développement de ces mesures dans les ESC ?
- Tensions associées dans les ESC:
- Poursuite et valorisation de visées et retombées sociales/économiques – mais aussi environnementales, politiques, etc.
- Quelques projets associés:
- Mesure des retombées d’une institution de finance solidaire (Bouchard, Léonard, Rousselière et Tello-Rozas);
- Mesure des retombées des ESC en collaboration avec l’organisme de liaison et de transfert Territoires innovants en économie sociale et solidaire (Bouchard et Léonard) ;
- Valuation dans la mise sur pied d’un outil d’évaluation d’impact d’une ESC du secteur culturel (Michaud et Tello-Rozas, avec C. Mailhot, HEC Montréal) ;
- Formes d’évaluation de la performance et caractéristiques organisationnelles des ESC (Tello-Rozas) ;
- Évaluation des effets d’entreprises d’insertion (Bouchard, Léonard et Michaud, cochercheures d’un projet dirigé par J.-M. Fontan).
Les paradoxes d’identité (belonging) traités dans la littérature sont généralement abordés à travers les tensions vécues entre divers rôles, identités et appartenances des individus impliqués avec les organisations, y compris dans les entreprises sociales au sens large. Dans la littérature sur les ESC, divers travaux sur les coopératives se sont intéressés aux conflits entre idéalistes et pragmatistes, entre les multiples rôles des membres, ou entre indépendance et solidarité. Nous explorerons les paradoxes d’identité en ESC à un niveau d’analyse différent : celui de l’identité organisationnelle des ESC et de leur appartenance à un champ en mouvance et aux frontières floues. Les travaux l’Axe 2 explorent les registres de justification sur lesquels s’appuie l’identité (les différentes identités) des ESC. L’hypothèse est que les paradoxes identitaires s’appuient sur des justifications différenciées suivant la volonté ou non du locuteur de préciser les frontières du champ.
- Questions et enjeux pour les ESC:
- Comment définir le champ des ESC, entre marché, État et société civile ?
- Qui en fait partie ou pas ?
- Quelles évolutions ?
- Quelles relations et quels rôles pour les ESC ?
- Tensions associées dans les ESC:
- Définitions et frontières floues/rigides dans le champ, mais aussi dans l’action des ESC (mission locale/globale, réforme/contestation, etc.)
- Quelques projets associés:
- Analyse des cadres conceptuels et de mesure statistique des ESC (Bouchard, en collaboration avec Rousselière) ;
- Analyse et différenciation d’initiatives de l’économie collaborative, de l’économie du partage et de l’économie sociale (Bouchard, Léonard et Michaud) ;
- Tensions identitaires et énoncés de mission des ESC (Michaud).
Les paradoxes d’organisation sont associés aux paradoxes concernant la forme et la légitimité des structures, à la gouvernance et aux modèles organisationnels. Vu les principes et valeurs qui orientent les entreprises sociales et collectives (ESC), ces paradoxes touchent plus particulièrement aux dynamiques entre démocratie et hiérarchie, entre collaboration et contrôle, et entre centralisation et décentralisation.
- Questions et enjeux pour les ESC:
- Quelles pratiques, structures et quels arrangements organisationnels sont adaptés aux principes (démocratie, participation) des ESC et à leur développement ?
- Tensions associées dans les ESC:
- Centralisation/décentralisation;
- Autonomie/contrôle.
- Quelques projets associés:
- Analyse des formes organisationnelles et plans d’affaires d’ESC (Bouchard, Léonard, Rousselière et Tello-Rozas) ;
- Paradoxes liés au changement d’échelle et franchisage social des ESC (Léonard avec le TIESS) ;
- Outils et pratiques de GRH en ESC (Michaud, Léonard) ;
- Évolution des structures et pratiques d’accompagnement à l’entrepreneuriat collectif (Camus) ;
- Paradoxes de la transformation du travail dans les nouveaux espaces de travail collaboratif (Camus).
Les paradoxes d’innovation (learning) découlent des processus et dynamiques d’évolution des ESC dans le temps. Dans l’étude des entreprises conventionnelles, divers chercheurs ont abordé l’innovation (voire la créativité) dans sa dynamique paradoxale avec l’utilité ou l’efficacité, ou en traitant de la nécessité pour les entreprises d’être à la fois en mode « exploration » (et donc innovation, via la recherche et le développement de nouveaux produits et marché) et en mode exploitation. Les coopératives ont quant à elles été étudiées par rapport aux paradoxes de changement, par exemple des cadres de référence. Nos travaux dans cet axe abordent les paradoxes d’innovation sous un nouvel angle, davantage en lien avec les innovations sociales, dans la tradition de recherche du Centre de recherche sur les innovations sociales. Plus spécifiquement, nous nous intéressons aux paradoxes que soulève le passage de l’émergence vers l’institutionnalisation des innovations sociales à travers l’analyse des trajectoires (longitudinales) de celles-ci.
- Questions et enjeux pour les ESC:
- Comment diffuser et répliquer les innovations sociales sans les banaliser ?
- Tensions associées dans les ESC:
- Émergence de l’innovation/institutionnalisation
- Quelques projets associés:
- Analyse de l’innovation et l’institutionnalisation au sein de champs organisationnels tels celui du développement local et celui du loisir associatif (Camus) ;
- Trajectoires d’innovations sociales au Québec (Camus, Léonard, Tello-Rozas) ;
- Paradoxes entre émergence et institutionnalisation des innovations sociales à partir de la base de données relationnelle sur les innovations sociales du Centre de recherche sur les innovations sociales (Bouchard, Michaud) ;
- Groupe directeur de la Stratégie canadienne en innovation sociale et finance sociale (Bouchard).
Nos travaux visent à explorer les mécanismes, outils, comportements par lesquels les tensions sont prises en compte par les ESC. Nous faisons l’hypothèse que les outils de gestion adaptés à la réalité des ESC tendent à recadrer les objets en tensions, contribuant à établir un nouveau champ qui leur est propre. Notre programme de recherche vise donc à approfondir ces pistes en rassemblant une équipe composée de professeures-chercheuses issues de disciplines diverses et complémentaires (administration, sociologie, économie et psychologie communautaire) à travers une perspective originale et porteuse : paradoxes et outils de gestion des ESC. Dans un souhait de mobilisation des connaissances et de savoirs utiles aux organisations, nos projets se réalisent le plus souvent en collaboration étroite avec les ESC concernées.